L’élection à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), prévue le 29 mai, soulève de nombreuses interrogations, tant sur le plan stratégique que diplomatique. À mon sens, le choix de trois pays de la CEDEAO — la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo — de soutenir le candidat mauritanien, Sidi Ould TAH, au détriment de celui du Sénégal, pays membre fondateur et historiquement engagé dans cette institution, constitue une erreur à plusieurs niveaux.
Une erreur diplomatique d’abord, car dans un contexte où la CEDEAO est fragilisée par la suspension de trois de ses membres — le Mali, le Burkina Faso et le Niger — un minimum de cohésion régionale aurait été nécessaire. Il est incompréhensible qu’en ce moment critique, certains États optent pour un soutien extérieur à l’espace CEDEAO, alors même que des efforts considérables sont menés pour recoller les morceaux d’une intégration régionale en péril.
Une erreur stratégique ensuite, car la nomination d’un candidat issu d’un pays en rupture pourrait bousculer les équilibres internes de l’institution. Un tel profil pourrait imprimer une dynamique nouvelle, potentiellement en décalage avec les intérêts des pays dits « non régionaux » – ces puissances occidentales actionnaires de la Banque – qui utilisent parfois les institutions multilatérales comme leviers d’influence, de commerce, voire de propagande politique. Cette instrumentalisation, l’Afrique ne peut plus se permettre de l’accepter.
Je tiens toutefois à préciser que je n’ai aucune animosité envers Sidi Ould TAH. Je l’ai rencontré à deux reprises dans le cadre de mes fonctions internationales. La première, à Djeddah, lorsqu’il était conseiller du président de la Banque islamique de développement, alors que je menais une mission de mobilisation de ressources. La seconde, lorsqu’il était conseiller du ministre de l’Économie et des Finances de Mauritanie. À cette occasion, je conduisais une délégation en qualité de Directeur du développement, venue négocier l’entrée de la Mauritanie au capital d’une institution continentale regroupant quatorze États africains. J’ai apprécié l’homme et je garde de lui un bon souvenir. La Mauritanie est un pays que je respecte profondément.
Cependant, la géopolitique exige des logiques de confiance mutuelle entre pays partageant une même communauté économique et monétaire. Le soutien à un candidat extérieur, dans un moment de repositionnement stratégique du continent, doit nous alerter.
Il est donc nécessaire de tirer les leçons de ce choix diplomatique, notamment sur les implications futures pour des dossiers sensibles comme l’évolution monétaire dans l’espace UEMOA et la fissure inéluctable du franc CFA. Quand des pays clés de cette union soutiennent une candidature extérieure, une révision des équilibres internes devient inévitable.
Aujourd’hui, dans un contexte de dette élevée, de durcissement des règles commerciales internationales et de retour au protectionnisme de puissances comme les États-Unis, l’Afrique a besoin à la tête de la BAD d’un président visionnaire et réformateur, capable de :
1. Mettre l’accent sur la mobilisation des ressources internes. Il est vrai que de nombreux analystes insistent aujourd’hui sur la capacité à mobiliser des ressources extérieures comme critère principal de sélection, mais c’est une erreur d’appréciation. Dans un monde qui se referme, marqué par un endettement élevé et une géopolitique tendue, cette capacité ne peut plus être considérée comme un critère saillant. Il deviendra de plus en plus difficile pour la Banque africaine de développement de lever des ressources concessionnelles pour le développement. »
2. Repenser en profondeur les outils de mesure du progrès en Afrique.
Il est devenu impératif de s’affranchir des indicateurs classiques comme le PIB ou les ratios d’endettement, souvent déconnectés des réalités africaines. Une nouvelle approche, plus adaptée, devrait mettre en valeur les ressources dormantes du continent, les potentialités endogènes et les dynamiques locales de transformation. L’Afrique doit contribuer à changer les règles du jeu internationales.
3 Stimuler les échanges intra-africains et financer des projets industriels intégrateurs.
La relance du continent passe également par un véritable saut qualitatif dans les relations commerciales entre pays africains. Il s’agit de dépasser la logique d’exportation brute vers l’extérieur, pour favoriser des chaînes de valeur régionales, appuyées par des projets structurants d’industrialisation commune.
Mais cette dynamique ne pourra être pleinement inclusive sans une réflexion stratégique sur le secteur informel, véritable creuset de créativité et de résilience. Il est urgent de sortir ce secteur des logiques de marginalisation pour en faire un levier assumé du développement.
3. Ouvrir un débat sur les normes imposées à nos banques centrales lesquelles ont objectivement des impacts négatifs sur les activités de la base
4. Refonder le dialogue avec les partenaires non africains, sur une base de respect, d’équilibre et de souveraineté.
La Banque africaine de développement ne peut plus se contenter de gestionnaires techniques. Il lui faut des leaders de rupture, visionnaire conscients que la vraie bataille est celle de l’indépendance économique, monétaire et institutionnelle. L’élection du président de la BAD ne doit pas être une simple formalité : c’est un moment de vérité pour l’avenir du continent.
Magaye. GAYE
Économiste international
Ancien cadre de la banque ouest africaine de développement (BOAD)